De l'utilité des écharpes de soie
En feuilletant un livre dont je voulais vous parler, j'ai fait une découverte,
du coup la découverte est devenue le sujet du jour
et nous parlerons du livre une autre fois.
La découverte, c'est un message brodé en 1700
et conservé à la Bibliothèque Nationale de France.
Voici un détail en gros plan.
(la bande entière mesure 45 cm / 11 cm).
Le
Le message dit ceci :
"Il y a dix louis d'or pour celui qui fera scavoir à Mr Duvaux correcteur des comptes
qui demeure rue de la Tuanderie que le prieur de Valsecret Maillefer est enfermé
dans une tour de la Bastille sans messe, sans sacrements, et dans l'estat le plus triste.
Il est innocent et il faut demander des commissaires ou s'adresser à Monseigneur
le chancellier qui scait son affaire ou bien à Monsieur d'Argenson qui en est chargé.
Le prevost de la Coste l'a arresté et il est à craindre qu'il n'ait usé de beaucoup
de surprise. L'ordre etoit du 13 janvier signé Phelippeau. Sur tout le secret. 24 mai."
Il a été brodé par le père François Maillefer, prieur de Val-Secret,
une abbaye de prémontrés du diocèse de Soissons. Abbaye aujourd'hui disparue.
Wikipédia m'a expliqué que l'ordre des chanoines réguliers de Prémontré,
appelés couramment prémontrés, était un ordre catholique fondé au XIIème siècle.
Le père François Maillefer avait été emprisonné à la Bastille en janvier de l'année 1700
Cet appel à l'aide a-t-il été couronné de succès ?
Quelqu'un a-t-il touché les dix louis promis pour avoir aidé François Maillefer ?
Hélas non, pas de chance …..
En effet, ce morceau de tissu brodé était joint à une lettre
elle aussi conservée à la BNF
lettre qui raconte ceci :
"En faisant faire la visite de mes prisonniers, l'on a trouvé d'un père prieur de prémontré
cette ci-incluse nouvelle mode que je n'avais encore point vue.
Il s'est servi de la soie d'une écharpe noire qu'il avait apportée avec lui.
Comme je le trouve un peu trop ingénieux à chercher le moyen de faire savoir
qu'il est ici, je crois que vous ne trouverez pas mauvais monseigneur
que je l'ai mis dans une des chambres que le roy m'a permis de faire faire
à ma mode l'année passée, de là il n'en sort jamais rien que par
ma permission soit par les portes ou par les fenêtres
… …
Votre très humble, très obéissant et très obligé serviteur de St Mars
A la Bastille de 11 juin 1700"
Voici un gros plan de cette ouvrage brodé donc
avec les fils de soie de l'écharpe du prieur.
Vous remarquerez que comme sur les marquoirs les plus anciens,
comme sur la lettre de Jeanne de Causse 1740 par exemple (CLIC)
tous les mots sont séparés par une croix.
Notre pauvre père prieur est donc hélas resté en prison,
encore plus étroitement surveillé qu'avant.
Mais qu'avait-il donc fait pour se retrouver ainsi à la Bastille ?
Et bien il avait été accusé par un autre ecclésiastique, le père Gilliard,
d'avoir voulu empoisonner le roi et de pratiquer la sodomie.
Mais, comme vous l'avez compris, il se disait innocent.
Il criait son innocence aussi sur les murs.
Dans l'ouvrage "L'inquisition française ou l'histoire de la Bastille"
par Mr. Constantin de Renneville,
il est question de nombreux messages que l'on pouvait lire sur les murs de la Bastille,
dont celui-ci :
DAT VENIAM CORVIS, VEXAT CENSURA COLUMBAS
(La censure pardonne aux corbeaux et poursuit les colombes)
Signé au dessous : Maillefer, prieur du Val-Secret, né à Rheims
Innocent, l'était-il ?
Et bien il semblerait que oui, à plusieurs endroits, j'ai lu que les accusations
du père Gilliard ont été reconnues calomnieuses,
et que ce dernier, à son tour, avait été incarcéré.
Ce que je trouve étrange, c'est qu'en regardant les dates
sur différentes listes de prisonniers que j'ai trouvées,
il semble qu'ils aient été tous les deux emprisonnés en même temps,
et qu'ils aient quitté la Bastille en même temps, à la fin de l'année 1700.
Sur cet autre document, les dates sont encore les mêmes pour les deux,
on voit qu'ils ont été tous les deux contraints à l'exil dans deux abbaye différentes.
Dans ce deuxième document par contre il est bien dit
"on reconnut dans la suite que c'était bien une calomnie",
peut être que son innocence n'a été reconnue que quelques années plus tard.
Mais bon, il brodait ..... donc il était innocent, c'est sûr,
les brodeurs et les brodeuses sont des gens biens !
Leçon à tirer de cette histoire :
toujours avoir une écharpe de soie noire sur soi !
Mais si ce n'est pas le cas, rassurez vous, il existe d'autres solutions.
Vous pouvez écrire sur la vaisselle.
C'est ce que fit La Beaumelle, de son vrai nom Laurent Angliviel,
homme de lettres du XVIIIème qui grava en prison
plus de 700 vers sur des assiettes d'étain avec la pointe d'une aiguille.
Et si vous n'avez ni écharpe ni vaisselle d'étain,
si vous n'avez plus que votre chemise,
vous pourrez toujours écrire dessus avec votre sang
comme le fit Henry Masers de Latude en 1749.
Et c'est solide, ça résiste au temps, la chemise est toujours là
plus de 200 ans après !
Prison, sang .... et bien voilà un billet qui n'est pas du tout
adapté à un doux week end de fête des mères (en France)
Heureusement, il y a Marguerite,
toute de rose enrubannée,
pour souhaiter une bonne fête à toutes les mamans.