Histoire d'un cerf et d'un oiseau
Installez vous confortablement
avec un petit café ou un petit thé,
je vais vous raconter une histoire.
L'histoire commence il y a six ans
quand mon amour des oiseaux
m'a fait craquer pour le joli marquoir d'Angelina
Angelina Angot - Athis - 1889
A l'époque, je n'avais pas encore eu l'idée d'utiliser les bases d'archives du net
pour faire des recherches sur les brodeuses.
Angelina était donc restée une inconnue pour moi.
Et puis il y a quelques jours je découvre cet autre marquoir
Léa Lemarchand - Athis - 1890
Alors bien sûr, en plus de ce cerf à fière allure,
j'ai été subjuguée par cette frise spectaculaire.
et ....
et évidemment j'ai tout de suite pensé à Angelina :
même composition générale axée sur un gros motif central
deux alphabets pas identiques mais très ressemblants
et surtout la signature, tout comme celle d'Angelina
Moi qui adore repérer des marquoirs faits dans la même école,
je n'ai pas hésité et je l'ai acheté.
Du coup j'ai commencé à rechercher ces deux petites filles,
une recherche qui m'a réservé une jolie surprise.
Commençons par Léa.
Léa Lemarchand est née le 21 juillet 1877
à Athis de l'Orne, en Normandie.
Mais à l'époque, on disait Athis seulement,
le locatif "de-l'Orne" n'a été rajouté qu'en 1968
(et aujourd'hui, 8 communes, dont Athis,
se sont regroupées sous le nom d'Athis-Val-de-Rouvre)
Elle est née dans le hameau de la Rabassière.
Son père Théodore Lemarchand avait 26 ans
et sa mère Julie Desahyes 25 ans
tous deux étaient tisserands,
ils avaient déjà un petit garçon, Emile, âgé de 5 ans.
Rien d'étonnant à ce que les parents soient tisserands,
voici ce qu'on peut lire sur le site de la commune :
Filature de la Martinique à Athis
A la Rabassière, dans la maison voisine,
(vraiment la maison d'à côté d'après les recensements)
9 jours plus tard, va naitre une autre petite fille.
Ernestine Angelina Angot est née le 30 juillet 1877
Les deux actes de naissance se suivent sur le registre d'état civil.
Les parents d'Angelina sont aussi tisserands,
Furcy Vital Angot avait 43 ans à la naissance de sa fille,
et Baziline Philomène Leperlier 39 ans.
Ils avaient déjà 3 petits garçons
Edouard Vital 16 ans, Jules Auguste 13 ans, et François Louis 6 ans
J'ai ainsi découvert avec émotion
que le hasard allait permettre à
deux amies d'enfance de se retrouver chez moi.
Deux petites filles habitant côte à côte,
exactement du même âge,
toutes deux filles de tisserands,
toutes deux les seules filles de la famille (Léa aura plus tard un autre petit frère).
Elles ont grandi ensemble, elles ont joué ensemble,
elles ont appris à marcher ensemble,
elles ont appris à parler ensemble,
et elles ont appris à broder ensemble.
Des petites filles dans une rue d'Athis.
Certes, la photo est plus tardive, mais elle permet d'imaginer
nos deux petites normandes, leur ouvrage à la main.
Quand le marquoir de Léa est arrivé à la maison cette semaine,
j'ai bien nettoyé la vitre toute sale (il est encore dans son cadre d'origine)
pour qu'il soit tout beau tout propre,
je l'ai posé sur la grande table de la salle à manger
et j'ai dit : attend, j'ai une surprise pour toi.
Alors je suis allée chercher le marquoir d'Angelina
et je l'ai posé à côté avec douceur.
Je vous assure, je suis peut-être ridicule, mais j'ai vraiment été émue,
j'ai vraiment eu l'impression d'assister aux retrouvailles de deux amies
après plus de 100 ans de séparation.
D'ailleurs elles sont toujours toutes les deux sur la table
je les laisse encore un peu .... elles doivent avoir tant de choses à se dire.
Que sont devenues nos jeunes brodeuses ?
Je n'ai pas tous les éléments,
les archives n'étant pas disponibles en ligne à partir de 1910-1920
mais voici ce que j'ai quand même retrouvé.
Si leur enfance a été semble-t-il en tous points identique
il n'en est pas de même pour leur vie de femme.
Angelina a à priori eu une vie plutôt sereine et classique.
Le 11 octobre 1904, elle a 27 ans quand elle épouse
Alfred Gustave Denis LAHAYE 25 ans.
Elle aura un fils André Auguste Vital.
Elle est morte en 1960 à l'âge de 83 ans
j'ai eu plus de mal à retracer la vie de Léa.
Sur le recensement de 1901 à Ahtis,
j'ai retrouvé Angelina qui habitait toujours chez ses parents
mais Léa n'était pas citée dans la maison voisine.
Était-elle déjà mariée ? ou hélas morte ?
Je ne trouvais rien.
Et puis finalement j'ai fini par la retrouver à 60km, à Caen.
En effet le 12 août 1901, Rose Pallée, sage femme à l'hôtel Dieu de Caen
est allée déclarer la naissance d'un petit garçon, Maurice Léon Lemarchand
fils naturel de Léa, domestique rue Saint Pierre à Caen.
Caen - l'hôtel Dieu
Le 31 août, c'est Léa elle même qui ira signer
l'acte de reconnaissance de son petit garçon.
Le recensement de 1906 m'apprend qu'elle est cuisinière
chez un riche confiseur de Caen, rue Saint Pierre
Caen - Rue Saint Pierre
Mais son petit garçon n'est pas avec elle.
Et effectivement, je le retrouve à Athis,
ce sont ses grands parents qui l'élèvent.
En 1920 Léa est toujours cuisinière, mais elle retournée à Athis,
elle vit avec sa mère devenue veuve.
Maurice est adulte maintenant, il ne vit plus là,
il s'est engagé dans l'armée.
J'ai perdu la trace de Léa en 1926, elle était encore à Athis, chez sa mère.
Après quelques années passées à l'armée, Maurice sera cultivateur
avant d'être mobilisé lors de la seconde guerre mondiale.
Fait prisonnier à Dunkerque en 1940,
il sera interné pendant 5 ans dans des stalags en Allemagne
avant d'être libéré le 24 avril 1945.
Ensuite plus rien, je sais juste qu'il est mort en 1984 à Athis.
Voilà donc l'histoire de deux petites filles du bocage normand.
J'espère que cette histoire vous a plu.
Je vous souhaite à toutes et tous un beau week-end.